« Europe et coronavirus : pourquoi la société prudente vaut mieux que la société sans risque ».
Éditorial publié par MF Milano Finanza le 15 avril 2021.
Nous vivons une période darwinienne. Dans ces moments-là, ce n’est pas le plus fort qui gagne, mais celui qui démontre la meilleure capacité d’adaptation et de transformation : une capacité dont l’Union a montré qu’elle disposait avec le plan de relance, tout en luttant pour la santé et son rôle dans le monde.
Prenons l’exemple de la question des vaccins européens. Au milieu d’une crise sanitaire sans précédent, l’UE a dû inventer un modus operandi dans un secteur qui avait toujours été entre les mains des gouvernements nationaux. Chaque étape de cette stratégie a donc été concertée avec ces mêmes gouvernements, qui ont fixé les priorités stratégiques et contrôlé la négociation des contrats d’approvisionnement en vaccins. Pourtant, le débat se limite à un affrontement entre partisans qui s’affrontent férocement.
Pour l’instant, la controverse porte sur la baisse des prix et la responsabilisation des firmes quant aux risques collatéraux : exigées par les Européens, c’est-à-dire la Commission, à la demande de plusieurs gouvernements dont l’Italie, elles ont en partie allongé les délais (rappelons toutefois que si AstraZeneca avait fourni les 120 millions de doses au lieu de 30, les Européens n’auraient pas eu de retard particulier par rapport aux Britanniques ou aux Américains).
Je crois que la priorité était la rapidité et non le prix, et je pense aussi qu’il aurait fallu prendre plus de risques, dans les contrats et en donnant beaucoup plus d’argent aux industries européennes pour accélérer la recherche sur les vaccins. Mais la question est : pourquoi les Européens ne l’ont-ils pas fait ? La raison profonde est l’aversion totale de nos sociétés pour le risque : nous voulons vivre dans l’illusion d’une société « sans risque» et nous n’en prenons aucun, en appliquant rigidement le principe de précaution, qui devient un principe d’interdiction, de paralysie et aussi un bouclier pour les responsables publics contre les attaques judiciaires incessantes.
Ainsi, pas de risque sur le prix des vaccins (on ne sait jamais, la Cour des comptes ou la presse…) et pas de véritable pari sur la capacité de l’industrie à réaliser l’impensable, comme un nouveau vaccin en moins d’un an (… ce sera beaucoup plus long…). Ceux qui ont misé sur la recherche et ceux qui ont pris des risques sur les contrats ont quelques semaines d’avance sur nous.
Alors, ne nous laissons pas enfermer dans les polémiques habituelles et demandons-nous si nos sociétés sont prêtes à prendre plus de risques face à l’urgence. Et si la « société du risque zéro » ne doit pas être préférée à une autre philosophie, celle de la « société de prudence » qu’Aristote nous a enseignée ?
Et puis, bien sûr, donnons aussi à l’Union européenne les pouvoirs d’agir plus efficacement et plus rapidement pour notre santé : des pouvoirs qu’elle n’avait pas au début de la crise et que nous pourrions lui donner à travers la Conférence sur l’avenir de l’Europe qui s’ouvrira le 9 mai. Le même argument s’applique parfaitement à l’incident diplomatique connu aujourd’hui sous le nom de Sofa-gate. Cet événement a montré que l’UE doit absolument renforcer sa capacité à s’adapter aux nouveaux défis mondiaux dans un monde où les rapports de force évoluent très rapidement.
On pourrait donc éviter d’éplucher le protocole diplomatique et commencer à débattre de la vraie question : comment nous projetons-nous sur la scène mondiale ? L’Union dispose-t-elle d’une représentation politique efficace ? La réponse est évidente : non, car elle se projette à l’extérieur de manière fragmentée, et donc inadéquate et inefficace. Réfléchissons maintenant aux avantages qui résulteraient de la nomination d’un président unique de l’UE. Aujourd’hui déjà, sans modifier les traités, nous pourrions confier les pouvoirs des présidents du Conseil européen et de la Commission à la même personne : nous pourrions ainsi avoir un seul président de l’Union. Il est temps de prendre une décision : parce qu’il est urgent de s’adapter et parce qu’il ne sert à rien de parler d’une Europe souveraine sur des sujets qui dépassent la capacité d’action des États (des pandémies au climat en passant par la gouvernance numérique ou la sécurité…) si ce n’est pour ne pas s’adapter et ne pas se donner les moyens d’agir et d’être perçu comme souverain.
La puissance n’est plus ce qu’elle était et les « puissances nationales » sont de plus en plus impuissantes face aux défis transnationaux qui, comme je le raconte dans mon dernier livre La Cible, risquent d’enterrer la civilisation européenne dans un monde qui pourrait se réinventer entre Washington et Pékin. Mais cela implique d’aborder une autre question fondamentale : le détachement entre la souveraineté et l’État et la construction de pouvoirs souverains au niveau supranational, afin de retrouver une véritable capacité de contrôle et donc de retrouver ensemble une véritable souveraineté, qu’elle soit sanitaire, industrielle ou de politique étrangère et de sécurité.
Il faut donc moins de précaution, moins d’aversion au risque ; plus de souveraineté européenne et de pouvoirs transnationaux : c’est ainsi que nous nous adapterons aux transformations et que nous deviendrons plus forts dans le monde. Pour citer JFK, le changement est la règle de la vie et ceux qui ne regardent que le passé ou le présent manqueront certainement l’avenir. La capacité à adapter nos réponses d’aujourd’hui aux défis qui se présentent à nous avec clairvoyance déterminera notre avenir en tant qu’Européens.