Sandro Gozi : « Giorgia Meloni cherche désespérément de nouveaux alibis pour masquer son incompétence »
Intervention dans Le Monde, 5 octobre 2023
Regardons la réalité en face et arrêtons de parler de la première ministre italienne, Giorgia Meloni, pour ce que nous voulons qu’elle soit, mais pour ce qu’elle est vraiment. Il y a environ un an, elle et son gouvernement ont pris les rênes de l’Italie avec le slogan « Nous sommes prêts », prétendant être une force nouvelle prête à transformer le pays. Malheureusement, cette rhétorique s’est rapidement éloignée de la réalité.
Giorgia Meloni est désormais dans une position précaire, cherchant désespérément de nouveaux alibis pour masquer son incompétence croissante et son manque de cohérence. Avec son principal allié, Matteo Salvini,qui dirige le parti d’extrême droite la Ligue, ils semblent avoir adopté une stratégie consistant à dénoncer, à stigmatiser et à inventer des excuses à tout prix. La récente arrivée massive de migrants à Lampedusa montre qu’elle est prise au piège de sa propagande et de ses contradictions.
Pendant les élections italiennes, elle avait promis un blocus naval pour arrêter les passeurs, affirmant l’indépendance de la nation à l’égard de l’Europe. Cependant, depuis qu’elle est au pouvoir, le nombre d’arrivées irrégulières de migrants en Italie a considérablement augmenté, passant de105 129 en 2022 à 133 617 pour les neuf premiers mois de 2023, selon le ministère de l’intérieur italien.
Division entre les nationalistes
Elle appelle maintenant à la solidarité européenne, mais ses propres alliés polonais et hongrois ont jusqu’à présent bloqué toute solution européenne. Elle ne prend pas le temps de chercher des stratégies communes ; en revanche, à Budapest, au côté du premier ministre hongrois, Viktor Orban, leader qui s’oppose depuis longtemps à une stratégie européenne à la crise migratoire, ils ont eu suffisamment de temps pour se proclamer défenseurs de Dieu et de la famille (traditionnelle, bien sûr !).
On espère que ce n’est pas sans sa bénédiction. En outre, la Pologne est réticente à faire preuve de solidarité avec l’Italie, tandis que le parti au pouvoir, le PiS, est le principal allié de l’ECR (European Conservative Party), dont Giorgia Meloni est présidente. Les gouvernements hongrois et tchèque, eux, ont encore rejeté il y a quelques jours les négociations du règlement sur la « gestion de la crise migratoire ».
Ces contradictions politiques sont manifestes. Giorgia Meloni a été jusqu’à présent l’alliée de ses adversaires réels et l’adversaire de ses alliés potentiels. Les contradictions auxquelles elle est confrontée sont les mêmes que celles de l’extrême droite française et européenne. Marine Le Pen et Matteo Salvini ont critiqué l’intervention de l’Europe dans la migration, tandis que Marion Maréchal appelait à une action de l’Union européenne (UE), et que Giorgia Meloni soutenait la solidarité européenne. Cette situation montre une division claire entre les nationalistes, et ce même au sein d’un même gouvernement, comme c’est le cas en Italie, où Giorgia Meloni et Matteo Salvini ont des positions opposées.
En juin, l’Italie a soutenu le nouveau pacte européen sur l’asile et la migration, visant à mieux répartir les réfugiés au sein de l’Union européenne, relancé sous la présidence française de l’UE en 2022. Marine Le Pen et Eric Zemmour, alignés sur les gouvernements nationalistes hongrois et polonais, ont quant à eux critiqué cette mesure, illustrant l’incapacité des nationalistes à trouver des solutions communes.
Mainmise sur les médias publics
Giorgia Meloni, en difficulté, cherche à masquer son inefficacité et son incohérence croissante en désignant facilement des boucs émissaires pour détourner l’attention, car elle est incapable de tenir ses promesses électorales.
L’intention est de montrer la force, l’identité, la persévérance et la capacité à échapper aux diktats et aux « complots » de l’Europe, des migrants, des banques, des ONG, des LGBTQI+ et des multinationales. Cependant, cela montre clairement une faiblesse plutôt qu’une force. Nous sommes dans une phase de dissimulation, de distraction de masse et de propagande, qui pourrait durer jusqu’aux élections européennes de juin 2024.
La mainmise de la présidente du conseilsur les médias publics italiens ne favorise pas la diversité des débats. La gestion de la migration ne peut se faire qu’à travers une coopération européenne, non par la concurrence ou la confrontation. Il est essentiel d’utiliser tous les leviers disponibles, tels que les visas, l’aide au développement et les accords commerciaux, pour obtenir une coopération accrue des pays d’origine.
Cela nécessite une action concertée des pays européens, en particulier la France, l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne, ainsi que des institutions européennes. Giorgia Meloni semble avoir compris récemment que l’entente entre l’Italie et la France est essentielle pour trouver une solution européenne efficace à la question migratoire, comme en témoigne sa rencontre fin septembre avec le président Emmanuel Macron à Rome.
Un petit pas vers un accord global
L’accord qui vient d’être trouvé pour répondre aux situations de crise migratoire est un premier résultat. Il est encourageant de constater que le dialogue a été constructif et qu’une majorité a été trouvée, sans la Pologne et la Hongrie, qui ont encore une fois voté contre. C’est un petit pas très utile vers un accord global.
La réunion qui s’est tenue fin septembre entre les leaders des pays euroméditerranéens à Malte a été l’occasion de réaffirmer la nécessité d’avancer rapidement et ensemble sur ce sujet. Nous verrons si dans les semaines à venir le sens des responsabilités va l’emporter sur les tactiques électoralistes, à Rome comme ailleurs. Il est en effet impératif d’adopter définitivement, en accord avec le Parlement européen, et de mettre en œuvre le plus rapidement possible le nouveau pacte européen sur l’asile et la migration, fortement voulu par la France et par la Commission européenne.
Si les Européens cèdent au « chacun pour soi », les problèmes seront plus grands pour tous. Tandis qu’en Européens nous pouvons reprendre le contrôle dans le respect de nos valeurs communes et en protégeant nos intérêts communs.